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Eglise protestante de Genève
© biegun wschodni on unsplash

L’Éternel est mon berger

Psaume 23 / Jean 10, 7-15

Pour une fois, je prends une distance – respectueuse – avec le réformateur Jean Calvin. Dans son magnifique commentaire du Livre des Psaumes, il soutient que le psaume 23 fut composé quand le roi David, étant entré en possession paisible de son royaume, vivait heureux et sans souci.

Ce serait en quelque sorte un chant de reconnaissance et de prospérité. Je ne sais pas d’où il a tiré ça…

Car la tradition juive, d’où viennent les psaumes, affirme le contraire.

David aurait composé ce poème dans l’une des périodes les plus dangereuses et les plus décourageantes de sa vie. Vagabond et solitaire, en fuite devant un roi cruel et son armée qui le recherchent pour le tuer, il s’est caché au fond d’une forêt dans une grotte et il s’en est sorti in extremis.

David a tiré de ça que Dieu le soutenait et prenait soin de lui au pire moment, quand les chances de survie paraissaient quasiment nulles.

En tout cas, ce contexte dramatique est bien plus intéressant pour nous que le premier. Il fait mieux ressortir les principales affirmations du psaume.

Je commence avec l’image du berger, qui illustre la relation que Dieu entretient avec l’être humain. L’Éternel est mon berger. Berger est un titre très humble, très simple pour l’un des métiers les plus anciens et des plus répandus de l’humanité.

Abel était berger. Ce métier est l’ancêtre de ce qu’on appelle aujourd’hui les métiers du « care », liés au fait de prendre soin. Le berger prend soin de ses brebis. L’image a été adoptée par Jésus dans l’Évangile de Jean pour parler de lui-même : Je suis le bon berger. Ce qui se retrouve sur l’une des plus anciennes représentations connues de Jésus, une gravure datant du 3ème siècle dans les catacombes de Rome. Elle montre un jeune homme portant un agneau sur ses épaules. Dans le psaume, c’est un petit berger (le jeune David) qui donne à son grand Dieu le nom de Berger.

A l’opposé de Dieu lointain, figure d’un juge inquiétant et irascible (comme nous réputons faussement l’Ancien Testament), voici Dieu proche de l’homme et attentif à lui. L’Éternel est mon berger. Le pronom est important, il indique un lien personnel, adressé à chaque personne particulière.

L’homme n’est pas abandonné à sa solitude dans la nuit du monde mais il fait l’objet de l’attention d’un Autre qui prend soin de lui. Telle est la conviction centrale de David.

Par quoi cela se traduit-il ? Le psaume répond: il restaure mon âme. Voilà une expression qui risque de résonner de manière étrange aujourd’hui. Dans l’ambiance contemporaine, l’être humain ne veut plus dépendre que de lui-même.

Il revendique d’être le seul et unique créateur de soi. On parle beaucoup de se construire et se déconstruire au gré de son désir. C’est un peu l’avènement de l’homme Lego… On fait même croire aux gens qu’ils pourraient être tout ce qu’ils veulent. Ce qui est un mensonge impardonnable.

Car voilà. Nous vivons, tant que la vie nous est donnée. Nous sommes, tant que l’être nous est donné.  On a beau faire, nous ne décidons pas de tout et l’essentiel échappe à notre contrôle. L’essentiel nous le recevons instant après instant, un battement cardiaque, un mouvement respiratoire après l’autre. Il suffit que ce mouvement s’arrête et tout cesse…

Il en va de même pour les forces morales et spirituelles. Lorsque nous tombons dans le désespoir,  dans l’absurde ou dans le malheur, nous prenons conscience que notre destinée ne tient qu’à un fil. Nous réalisons notre dépendance. À ce moment-là, nous sommes en exil de l’être. Il nous faut alors un berger qui, par sa Parole et son Esprit, nous reconduise vers les pâturages de l’être.

Cela signifie-t-il que placer sa confiance en Dieu et en Jésus-Christ va automatiquement nous épargner les épreuves ? Sera-t-on immunisé contre le désespoir et l’absurde ? Sera-t-on spécialement protégé ?

Il y a une conception populaire de la Providence (terme qui entre parenthèses ne se trouve pas dans la Bible) consistant à dire que Dieu a un plan pour chacun d’entre nous. Cette conception n’est pas fausse à condition d’ajouter que, un, cela ne nous met à l’abri de rien et, deux, ça ne supprime pas notre liberté. Dieu propose et l’homme dispose.

Vous l’avez entendu dans sa parabole. Jésus parle de loups, de voleurs et de brigands qui s’en prennent aux brebis. Vivre, c’est être exposé. En vérité nous restons en balance, en équilibre, livrés à la précarité. Les plantes, les animaux, les hommes sont exposés: la sécheresse détruit les récoltes, les animaux prennent la foudre ou se font écraser en traversant l’autoroute, les malfaisants surgissent, la maladie ou les coups du sort frappent… C’est comme ça, on ne peut rien y changer. Vouloir éviter le risque à tout prix revient à ne plus vivre du tout. La vie et le risque sont intimement liés.

D’ailleurs, le psaume le reconnait: « Quand je marche dans la vallée de l’ombre et de la mort ». On fait ordinairement de ce passage célébrissime un usage funéraire.

On le récite sur les tombes, lors d’un ensevelissement. Au cinéma, c’est même devenu un cliché incontournable avec l’inévitable scène au cimetière ! On a tort.

Le psaume ne parle pas de l’au-delà de cette vie. Les verbes sont au présent : Quand je marche dans la vallée de l’ombre et de la mort, je ne crains rien…  C’est dans cette vie présente que cela se passe. C’est dans ta vie présente qu’à un moment ou à un autre tu marcheras dans cette vallée sombre.

En ce moment peut-être, l’un ou l’autre d’entre nous ou certains parmi ceux que nous connaissons sont-ils en train d’y marcher…

Aussitôt ajoute David :  « Je ne crains aucun mal ». Comment est-ce possible ? Comment celui qui est confronté à l’ombre et à la mort peut-il ne craindre aucun mal ? Il paraît étonnant de penser que les êtres qui peuplent cette planète puissent avoir la moindre importance en regard de l’immensité de l’Univers qui les entoure. Qu’est-ce qui changerait à l’Univers s’ils venaient à être effacés ? Qui s’en soucierait ? Eh bien, Dieu, lui, s’en souvient et il nous le fait savoir.

Les non-protégés que nous sommes, les tout-le-temps exposés que nous sommes ne sont pas oubliés par Lui. Je connais mes brebis et je les appelle par leur nom affirme le Christ. Au moment du plus grand danger, je suis au centre de son attention. Cela signifie que la force m’est donnée de ne pas être submergé par la crainte, de ne pas m’y noyer, de sorte que je tiens la tête hors de l’eau (si je puis dire) dans la vallée de l’ombre et de la mort. Mon pas est affermi, assuré, et je la traverse. Au bout du compte, j’en sors.

Dieu nourrit notre âme en nous inspirant les forces spirituelles et morales pour surmonter les aléas qui se produisent. Au pire de l’épreuve, l’aide est donnée à quiconque les demande au Berger de nos âmes. C’est tout le sens de la prière.

Lorsque nous sommes coincés dans le trou, lorsque nous sommes dans l’impasse, il semble qu’il n’y ait plus de possibilités. On est désespéré. Mais le désespoir, même si on peut le comprendre et l’expliquer, est une position fausse. Lorsque le train de la vie passe par la gare du désespoir, il ne faut pas s’y arrêter. Il ne faut pas descendre.

Le désespoir veut dire que la vie a prononcé son dernier mot me concernant. Elle a fait une croix sur moi, je suis fichu.  Mais la vie ne dit jamais ça, elle ne déclare jamais personne fichu. On n’est jamais hors-jeu au grand jeu de la vie.

Alors comment sortir du désespoir ? En observant ce qui est possible. La plupart du temps, c’est un presque rien. Un petit signe que l’on reçoit, une rencontre inattendue, un petit quelque chose qui nous fait voir les choses autrement, une  modeste activité quelque part, une minuscule opportunité, pourquoi pas … Rien de très formidable mais au moins ça ouvre un débat avec soi-même : Comment dois-je m’y prendre même si ce n’est pas extraordinaire ?

Vais-je oui ou non décider de faire grandir cette minuscule possibilité qui se présente ? Car le tout petit et très fragile peuvent devenir très grand et très fort.

Il y a plusieurs paraboles de Jésus au sujet de la plus petite des graines qui peut devenir le plus grand des arbres. Je peux donc faire grandir cette petite possibilité, lui donner de l’espace et faire que la vallée qui m’enserre soit de moins en moins étroite.

Nous sommes aidés par ces petites étincelles qui se présentent à nous très discrètement. Ces petites étincelles sont un rappel de la Grande Lumière. Il faut s’y intéresser parce ce sont des éclats du divin, des étincelles que le Berger sème sur notre route.

C’est de cette façon que nous sommes veillés et accompagnés par le Berger éternel. Il a choisi cette manière d’être présent avec ses créatures auxquelles il adresse sa Parole pour les renouveler intérieurement .

Amen