Les origines du mal – Le mal en nous…
Prédication du pasteur Bruno Gérard dans la cadre de la série ‘Les origines du mal’ proposée par la Paroisse Saint-Pierre pour les semaines précédant les Fêtes de Pâques 2024
Psaume 73
1 Psaume d’Asaph. Oui, Dieu est bon pour Israël, Pour ceux qui ont le cœur pur.
2 Toutefois, mon pied allait fléchir, Mes pas étaient sur le point de glisser ;
3 Car je portais envie aux insensés, En voyant le bonheur des méchants.
4 Rien ne les tourmente jusqu’à leur mort, Et leur corps est chargé d’embonpoint ;
5 Ils n’ont aucune part aux souffrances humaines, Ils ne sont point frappés comme le reste des hommes.
6 Aussi l’orgueil leur sert de collier, La violence est le vêtement qui les enveloppe ;
1 Psaume d’Asaph. Oui, Dieu est bon pour Israël, Pour ceux qui ont le cœur pur.
2 Toutefois, mon pied allait fléchir, Mes pas étaient sur le point de glisser ;
3 Car je portais envie aux insensés, En voyant le bonheur des méchants.
4 Rien ne les tourmente jusqu’à leur mort, Et leur corps est chargé d’embonpoint ;
5 Ils n’ont aucune part aux souffrances humaines, Ils ne sont point frappés comme le reste des hommes.
6 Aussi l’orgueil leur sert de collier, La violence est le vêtement qui les enveloppe ;
7 L’iniquité sort de leurs entrailles, Les pensées de leur cœur se font jour.
8 Ils raillent, et parlent méchamment d’opprimer ; Ils profèrent des discours hautains,
9 Ils élèvent leur bouche jusqu’aux cieux, Et leur langue se promène sur la terre.
10 Voilà pourquoi son peuple se tourne de leur côté, Il avale l’eau abondamment,
11 Et il dit : Comment Dieu saurait-il, Comment le Très haut connaîtrait-il ?
12 Ainsi sont les méchants : Toujours heureux, ils accroissent leurs richesses.
13 C’est donc en vain que j’ai purifié mon cœur, Et que j’ai lavé mes mains dans l’innocence :
14 Chaque jour je suis frappé, Tous les matins mon châtiment est là.
15 Si je disais : Je veux parler comme eux, Voici, je trahirais la race de tes enfants.
16 Quand j’ai réfléchi là-dessus pour m’éclairer, La difficulté fut grande à mes yeux,
17 Jusqu’à ce que j’eusse pénétré dans les sanctuaires de Dieu, Et que j’eusse pris garde au sort final des méchants.
18 Oui, tu les places sur des voies glissantes, Tu les fais tomber et les mets en ruines.
19 Eh quoi ! en un instant les voilà détruits! Ils sont enlevés, anéantis par une fin soudaine !
20 Comme un songe au réveil, Seigneur, à ton réveil, tu repousses leur image.
21 Lorsque mon cœur s’aigrissait, Et que je me sentais percé dans les entrailles,
22 J’étais stupide et sans intelligence, J’étais à ton égard comme les bêtes.
23 Cependant je suis toujours avec toi, Tu m’as saisi la main droite ;
24 Tu me conduiras par ton conseil, Puis tu me recevras dans la gloire.
25 Quel autre ai-je au ciel que toi ! Et sur la terre je ne prends plaisir qu’en toi.
26 Ma chair et mon cœur peuvent se consumer: Dieu sera toujours le rocher de mon cœur et mon partage.
27 Car voici, ceux qui s’éloignent de toi périssent; Tu anéantis tous ceux qui te sont infidèles.
28 Pour moi, m’approcher de Dieu, c’est mon bien: Je place mon refuge dans le Seigneur, l’Éternel, Afin de raconter toutes tes œuvres.
Prédication – Le mal en nous…
L’origine du mal, comme boussole pour notre temps de Carême.
Voilà quelques dimanches, que cette question fait voyager dans les textes bibliques avec des précieux guides. Pourtant, comme l’a rappelé la professeure Élisabeth Parmentier, la Bible ne répond pas à cette problématique de façon définitive, en une phrase qui énoncerait de façon péremptoire : l’origine du mal se situe …
De façon générale, la Bible ne fournit en rien une liste de réponses toute faite à nos questions ou un code de bonne conduite à appliquer en toutes circonstances.
De façon particulière, la Bible ne répond pas à cette question de l’origine du mal de façon définitive en indiquant un responsable, le Diable, le Satan par exemple …
Certains et certaines usent et mésusent de réponse toute faite. C’est de la faute du diable, rejetant la responsabilité sur une entité facilement identifiable et condamnable … et au passage, permettant bien facilement de dédouaner l’humain de toute responsabilité :
« Ce n’est pas moi, c’est le diable. »
Ou de montrer du doigt une personne en disant pour expliquer un comportement : « Elle est possédée par le diable. »
Le cheminement avec la Bible invite à proscrire les raccourcis et les sentences radicales. Ce cheminement est un pèlerinage responsable et, comme tout cheminement, il présente à chaque virage du sentier, un éclairage nouveau.
Un éclairage nouveau ce matin, notamment avec le livre des Psaumes ; livre avec des points de vue splendides, mais tellement d’aridité.
Au fil des Psaumes, une des origines du mal se dessine : moi-même. Moi-même quand je projette sur les autres. Moi-même quand je construis des édifices de condamnation et de vengeance.
Le psaume 73, partagé ce matin parle de ce vertige, de ces monstrueux édifices que nous fabriquons en regardant la vie des autres.
Comme le psalmiste, je me fais souvent des constructions sur ce que font les autres, sur ce que pensent les autres. Je me permets d’en relater une, personnelle.
Enfant, j’ai fréquenté l’école maternelle d’un quartier difficile où ma mère enseignait. Je m’y étais fait plein de camarades que je croiserai souvent par la suite. Nous avons grandi et pris des chemins différents, mais nous avons continué à nous saluer.
Voilà qu’un jour, j’étais au volant de ma Peugeot 104, première voiture d’étudiant offerte par mes parents. Je croise aux feux tricolores, un de ces camarades d’enfance au volant d’une puissante BMW rutilante, neuve qui me fait un salut amical et dépasse mon glorieux tacot lorsque le feu passe au vert.
Une tourmente s’est levée dans mon crâne. Sur le coup, je trouvais la situation très injuste. Ce camarade, tout juste majeur, possédait une splendide voiture. Je m’imaginais pour lui une vie de richesses et de plaisirs avec tout cet argent. Contrairement à moi, pauvre étudiant qui trimait pour ces examens, et qui n’avait qu’une petite voiture rouge ! J’étais en plus persuadé qu’il m’avait un peu nargué en me doublant. Une belle construction mentale … je ne savais rien de ce garçon à part mes fantasmes sur sa belle voiture.
En relisant, cet épisode peu glorieux, je mesure combien parfois la jalousie biaise le regard sur les autres. Sur le moment, je n’étais même pas capable de voir le privilège que j’avais d’étudier à l’université, celui d’avoir une voiture, et d’avoir grandi dans une famille stable.
Quelques années plus tard, ma mère rencontre la maman de ce garçon qui lui a confié sa grande souffrance devant la détention de son fils en prison. Sans commentaires …La fabrique du mal à l’intérieur de nous-même.
Une constatation qui nécessite une réaction, à l’image de celle décrite dans le psaume.
21 Lorsque mon cœur s’aigrissait, et que je me sentais transpercé dans les reins,
22 j’étais abruti, je ne savais rien …
Abruti dans mon jugement sur l’autre. Abruti par mon aveuglement devant les richesses éphémères. Abruti de mon manque de reconnaissance devant ce que je vivais. Abruti de désirs de vengeance. Abruti de vouloir jeter l’autre à la Géhenne. Abruti d’être à l’origine de bien des souffrances pour les autres et moi-même. Abruti, le mot est fort, mais salutaire.
Car une fois prononcé, le psalmiste prend conscience de son enfermement dans un cercle aliénant pour retrouver une relation avec Dieu. Il se rappelle à la présence de Dieu pour sortir de l’ornière.
23 Cependant je suis constamment avec toi, tu m’as saisi la main droite ;
24 tu me conduis par ton conseil, puis tu me prendras dans la gloire.
En termes liturgiques, le psalmiste entame une action de repentance et glisse de la question de l’origine du mal à : comment faire avec le mal ? En réalisant qu’une part du mal vient de nous, il réagit par une prise de conscience, une reconnaissance de sa responsabilité dans l’origine du mal, pour aller vers plus de vie. Cette prise de conscience n’engendre en rien une dynamique d’auto-condamnation ou d’auto-flagellation. Au contraire, c’est une mise en mouvement vers une restauration de la vie.
Une mise en mouvement qui inspire en ce temps de carême pour éviter que ce temps ne ressemble à un chemin de croix mortifère. Bien au contraire, ce mouvement relève et nous guide vers plus de vie à Pâques. Reconnaître notre responsabilité dans un désir sincère de renouer avec Dieu. Lui remettre notre colère, nos désirs de vengeance, nos mesquineries … pour éviter leurs conséquences néfastes et se libérer de nos plus sombres pensées.
Et restaurer la relation avec Dieu : « Quant à moi, m’approcher de Dieu, c’est mon bien. J’ai choisi pour abri le Seigneur DIEU— afin de raconter toutes tes œuvres. » conclut le psaume 73.
- Prendre conscience – je suis abruti
- Déposer ce qui ronge – la colère, le ressenti
- Restaurer la relation – louange et refuge
Voilà trois étapes pour sortir de la question du mal. Rien d’automatique Rien d’évident dans ce chemin de transformation. Tellement peu naturel que dans le florilège de recommandations que Jésus transmet à ses disciples dans l’évangile de Matthieu. Une est particulièrement tranchante : « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive. Oui, je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère ».
Voilà une injonction qui secoue. Une injonction violente, lisible qu’avec crainte un jour de baptême où des familles sont réunies. La parole du Christ tranchante comme un glaive à l’inverse de celle dessinée par un irénisme présentant un Jésus doucereux.
Par le fil de cette parole, Jésus nous invite à briser les cercles aliénants qui enferment. Ces prisons sociales, familiales construites au fil du temps, dans lesquelles nous étouffons.
La virulence du propos, dans la même veine que Abruti du psaume, doit procurer une réaction pour une libération.
L’idée de décoïncidance exposée par le philosophe François Jullien depuis cette même chaire, trouve sûrement ici son paroxysme. Sortir des habitudes, des arrangements, des coïncidences, pour une libération, un long chemin à la suite du Christ. Un long chemin inauguré par le baptême, premier acte de cette vie libérée promise en Dieu.
Gael y trouvera la force de vivre en fils de Dieu, relevé. Lors de la préparation de ce baptême, nous avons évoqué, Elisabeth et Mario un lieu qui vous est cher. Sagres à l’extrémité sud-ouest du Portugal. Au cabo Sao Vicente, au cap Saint-Vincent, à Sagres, un monastère fait face à l’océan devant un panorama toute en splendeur chaotique. Une communauté de religieuses occupait autrefois ce lieu. Les sœurs devaient agiter la nuit et en temps de tempêtes des cloches, pour prévenir les marins de la proximité d’un éperon rocheux à l’aplomb de la falaise et ainsi éviter leur naufrage.
Les paroles fortes du psaume 73, celles de Jésus dans Matthieu, sonnent aussi comme des cloches pour éviter que nos vies sombrent.
Ces paroles guident vers la libération promise aux enfants de Dieu.
Amen.