Le psaume de Zacharie
Prédication proposée par le pasteur Vincent Schmid au temple de Champel le 15 décembre 2024.
Évangile de Luc 1, 5-25 et 57-80
5 Du temps d’Hérode, roi de Judée, il y avait un sacrificateur, nommé Zacharie, de la classe d’Abia ; sa femme était d’entre les filles d’Aaron, et s’appelait Élisabeth.
6 Tous deux étaient justes devant Dieu, observant d’une manière irréprochable tous les commandements et toutes les ordonnances du Seigneur.
7 Ils n’avaient point d’enfants, parce qu’Élisabeth était stérile ; et ils étaient l’un et l’autre avancés en âge.
8 Or, pendant qu’il s’acquittait de ses fonctions devant Dieu, selon le tour de sa classe, il fut appelé par le sort,
9 d’après la règle du sacerdoce, à entrer dans le temple du Seigneur pour offrir le parfum.
10 Toute la multitude du peuple était dehors en prière, à l’heure du parfum.
11 Alors un ange du Seigneur apparut à Zacharie, et se tint debout à droite de l’autel des parfums.
12 Zacharie fut troublé en le voyant, et la frayeur s’empara de lui.
13 Mais l’ange lui dit : Ne crains point, Zacharie; car ta prière a été exaucée. Ta femme Élisabeth t’enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean.
14 Il sera pour toi un sujet de joie et d’allégresse, et plusieurs se réjouiront de sa naissance.
15 Car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante, et il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère ;
16 il ramènera plusieurs des fils d’Israël au Seigneur, leur Dieu ;
17 il marchera devant Dieu avec l’esprit et la puissance d’Élie, pour ramener les cœurs des pères vers les enfants, et les rebelles à la sagesse des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple bien disposé.
18 Zacharie dit à l’ange : A quoi reconnaîtrai-je cela? Car je suis vieux, et ma femme est avancée en âge.
19 L’ange lui répondit : Je suis Gabriel, je me tiens devant Dieu ; j’ai été envoyé pour te parler, et pour t’annoncer cette bonne nouvelle.
20 Et voici, tu seras muet, et tu ne pourras parler jusqu’au jour où ces choses arriveront, parce que tu n’as pas cru à mes paroles, qui s’accompliront en leur temps.
21 Cependant, le peuple attendait Zacharie, s’étonnant de ce qu’il restait si longtemps dans le temple.
22 Quand il sortit, il ne put leur parler, et ils comprirent qu’il avait eu une vision dans le temple ; il leur faisait des signes, et il resta muet.
23 Lorsque ses jours de service furent écoulés, il s’en alla chez lui.
24 Quelque temps après, Élisabeth, sa femme, devint enceinte. Elle se cacha pendant cinq mois, disant :
25 C’est la grâce que le Seigneur m’a faite, quand il a jeté les yeux sur moi pour ôter mon opprobre parmi les hommes.
***
57 Le temps où Élisabeth devait accoucher arriva, et elle enfanta un fils.
58 Ses voisins et ses parents apprirent que le Seigneur avait fait éclater envers elle sa miséricorde, et ils se réjouirent avec elle.
59 Le huitième jour, ils vinrent pour circoncire l’enfant, et ils l’appelaient Zacharie, du nom de son père.
60 Mais sa mère prit la parole, et dit : Non, il sera appelé Jean.
61 Ils lui dirent: Il n’y a dans ta parenté personne qui soit appelé de ce nom.
62 Et ils firent des signes à son père pour savoir comment il voulait qu’on l’appelle.
63 Zacharie demanda des tablettes, et il écrivit: Jean est son nom. Et tous furent dans l’étonnement.
64 Au même instant, sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia, et il parlait, bénissant Dieu.
65 La crainte s’empara de tous les habitants d’alentour, et, dans toutes les montagnes de la Judée, on s’entretenait de toutes ces choses.
66 Tous ceux qui les apprirent les gardèrent dans leur cœur, en disant : Que sera donc cet enfant? Et la main du Seigneur était avec lui.
67 Zacharie, son père, fut rempli du Saint Esprit, et il prophétisa, en ces mots :
68 Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, De ce qu’il a visité et racheté son peuple,
69 Et nous a suscité un puissant Sauveur Dans la maison de David, son serviteur,
70 Comme il l’avait annoncé par la bouche de ses saints prophètes des temps anciens,
71 Un Sauveur qui nous délivre de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent !
72 C’est ainsi qu’il manifeste sa miséricorde envers nos pères, Et se souvient de sa sainte alliance,
73 Selon le serment par lequel il avait juré à Abraham, notre père,
74 De nous permettre, après que nous serions délivrés de la main de nos ennemis, De le servir sans crainte,
75 En marchant devant lui dans la sainteté et dans la justice tous les jours de notre vie.
76 Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très Haut ; Car tu marcheras devant la face du Seigneur, pour préparer ses voies,
77 Afin de donner à son peuple la connaissance du salut Par le pardon de ses péchés,
78 Grâce aux entrailles de la miséricorde de notre Dieu, En vertu de laquelle le soleil levant nous a visités d’en haut,
79 Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, Pour diriger nos pas dans le chemin de la paix.
80 Or, l’enfant croissait, et se fortifiait en esprit. Et il demeura dans les déserts, jusqu’au jour où il se présenta devant Israël.
Prédication – Le psaume de Zacharie
Zacharie et son épouse Elizabeth appartiennent à cette génération qui, selon Luc, relie le temps de la Loi et des Prophètes au temps de l’Évangile. Zacharie est un membre de la compagnie nombreuse des prêtres desservant le Temple de Jérusalem. Son nom signifie – ce n’est pas indifférent – « Dieu se souvient ». Son histoire ressemble à celle d’Abraham et Sara. Un jour, alors qu’il officie dans le Temple, l’ange Gabriel (la star incontestable des récits de Noël) lui annonce la naissance prochaine d’un fils, Jean-Baptiste. La nouvelle suscite l’incrédulité de Zacharie ; Elizabeth est stérile et tous deux sont fort avancés en âge. L’ange prend le doute de Zacharie de travers et l’astreint au mutisme jusqu’à la naissance de l’enfant. Quand vient le jour de la circoncision, la voix de Zacharie se libère pour un superbe psaume de bénédiction et de gratitude.
Je relève dans ce psaume – du point de vue littéraire, il s’agit d’un psaume bien plus que d’un cantique – quatre verbes qui concentrent l’essentiel de ce que la parole de Dieu projette de lumière sur la condition humaine ; Dieu visite ; Dieu se souvient ; Dieu éclaire ; Dieu conduit. Chaque fois que nous nous sentons abandonnés, chaque fois que nous nous débattons dans l’épreuve de Sa face cachée (Pourquoi gardes-tu le silence, pourquoi te caches-tu?), nous devrions mettre notre doute de côté et revenir à ce passage de l’Écriture.
Première parole : « Il a visité… ». Ce verbe suggère l’image dynamique d’un Dieu visiteur. Où trouver Dieu dans le monde actuel ? Les réponses sont multiples : à l’origine de l’Univers, dans l’intimité du cœur, dans l’action juste, dans la charité envers le prochain, dans la Bible ou encore dans les Églises, les rites et les sacrements pourquoi pas… Il reste qu’assigner à Dieu une place précise reste le plus sûr moyen de le manquer. « Si tu crois l’avoir saisi, ce n’est pas lui » disait déjà Saint Augustin.
Le psaume choisit de dépeindre Dieu comme un visiteur qui arrive à l’improviste. Elizabeth et Zacharie, Marie et Joseph, reçoivent une visite inattendue. A partir de cet instant, pour eux, tout sera différent.
Pourquoi ne pas envisager Dieu comme ce visiteur qui toujours va décrit dans la pièce d’Éric Emmanuel Schmitt, Le Visiteur ? Pourquoi ne serait-il pas ce passant mystérieux qui entre dans la vie des hommes et des femmes, qui pénètre chez eux sans s’y installer, sans devenir jamais un meuble ou un locataire ?
Il ne faut jamais exclure la visite de l’invisible dans notre vie. On ne sait pas ce qui est en préparation dans l’ordre spirituel des choses. L’Esprit, dont nul ne sait ni d’où il vient ni où il va, travaille toujours. Quand nous contemplons la marche du monde, nous concluons à l’échec ou l’impasse. Pourtant des gens se lèveront, des voix se feront entendre, des idées jailliront. Toute époque, quelles qu’en soient les difficultés, est à sa manière une grande époque.
La deuxième parole est un leitmotiv de la Loi et des Prophètes : Dieu se souvient. Depuis Noé, depuis Abraham, il se souvient de ses promesses de bénédiction et de vie, il ne les perd pas de vue, il n’en change pas en cours de route. Au contraire, il les réitère pour chaque génération jusqu’à la fin des choses. C’est ce qu’on appelle l’Alliance.
Or l’une de nos peurs les plus fondamentales est d’être oublié. Un jour, nous ne serons plus. « Nous sommes nés à l’improviste et après ce sera comme si nous n’avions pas existé ». Le livre de la Sagesse met cette affirmation sans espoir, pour la combattre, dans la bouche des sceptiques. Après notre passage, qui se souviendra de nous et pour combien de temps ? Au fond, notre existence n’est-elle pas une lutte acharnée contre l’oubli ? Créer des œuvres d’art, augmenter la connaissance, élaborer des sagesses, bâtir des cités ou des empires, faire des enfants, faire carrière, chercher à marquer les autres, s’agiter en tous sens : tout cela peut s’expliquer par la peur d’être oublié. Laisser une trace de son passage semble la seule réponse à la perspective d’être effacé par le néant. Car le néant authentique, c’est l’oubli.
Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui ? se demande le psalmiste. Quoiqu’il advienne, Dieu se souvient, il n’oublie pas les habitants de cette petite planète. Nous ne sommes pas des orphelins de l’Univers, nous demeurons dans la mémoire de Dieu, nos noms sont inscrits dans son livre de vie. Et le nom pour les auteurs sacrés revêt une importance considérable. Il est constitutif de notre personnalité. Il révèle qui on est.
De quelle manière Dieu se souvient-il ici ? En suscitant une naissance là où à vue humaine il y avait zéro chance qu’il s’en produise une. Tel est dans la Bible le sens profond des naissances chez des couples stériles (Abraham et Sara, Isaac et Rebecca, Jacob et Rachel, Elkana et Anne…). A chaque fois que le souvenir de Dieu se rappelle aux hommes, c’est par une relance du jeu de la vie. Raison pourquoi Noël, dont nous sommes proches, rappelle que, selon l’Évangile, le salut est un enfant.
L’enfant qui naît est riche de ce qu’il peut devenir. Il est riche de l’espérance qui s’attache à son futur. Il est à lui seul l’incarnation d’une promesse. Il nous apprend que l’aventure humaine n’est pas terminée et qu’un avenir reste possible.
Aussi bien ne nous laissons pas hypnotiser par ce qui meurt et disparaît. Changeons notre regard, élargissons notre conscience. Appliquons-nous à discerner dans le tohu bohu contemporain ce qui est en train de naître.
La troisième parole nous tire vers la lumière : le soleil levant éclaire ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort. La sentence vient d’Ésaïe. Elle embrasse la condition humaine en son entièreté. L’être humain est défini assis dans les ténèbres, spirituelles s’entend, cherchant à tâtons une bribe de vérité. Sa seule certitude est celle de sa mort inévitable tôt ou tard. Son drame est d’être perdu dans la nuit ; mais ce n’est pas de sa faute. C’est ainsi. Mais si cela est ainsi c’est afin qu’il fasse l’expérience d’un éclairement qui le révèle à lui-même sous le regard de Dieu. Nous sommes dans les ténèbres parce que nous sommes appelés à la lumière. La lumière est notre destinée ultime :
« La nuit ne sera plus » promet le visionnaire de l’Apocalypse.
Cette grande dame de la pensée que fut Hannah Arendt prononça dans les années cinquante, à l’occasion de la remise du prix Lessing, une conférence intitulée De l’Humanité dans de sombres temps où elle dit: « Même dans les moments les plus sombres, nous avons le droit d’espérer une illumination »…
La quatrième parole du psaume de Zacharie concerne la paix. Il dirige nos pas dans le chemin de la paix. Ce n’est pas de paix politique qu’il s’agit là mais du préalable à toute paix politique.
Vous avez observé que chaque année c’est la même chanson. A Noël, tout le monde parle de paix alors qu’une région ou une autre de ce monde est à feu et à sang. Cette année ne fait pas exception.
Mais pensez-vous que la situation en terre d’Israël à l’époque de Zacharie était paisible ? Occupation militaire, attentats, insécurité, crise économique – pour couronner le tout, une famille obligée de fuir en Égypte pour échapper à la folie sanguinaire d’un potentat local. La naissance de Jésus n’a rien changé à cet état de fait politique.
La voie de la paix au sens de l’Évangile exige un préalable. Que la parole de vie adressée par Dieu à l’homme soit reçue et ensuite transmise par celui qui l’a reçue à son prochain. La paix passe par la réalisation de la fraternité. La plupart du temps, nos fraternités sont à la dérive, sources de guerres et de violences récurrentes. Priant un même Père, nous prenons conscience d’être frères et sœurs. Maintenant il s’agit d’accomplir ce lien.
Nous rejoignons le grand thème de la réconciliation. Réconciliés personnellement avec Dieu qui nous maintient dans son Alliance, la tâche nous revient de faire alliance à notre tour avec nos frères et nos sœurs humains. A cette condition nous pourrons travailler efficacement à la paix civile et politique autour de nous. Heureux les artisans de paix : la paix est un artisanat tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Certes, le chemin de la paix est long, très long ; il sinue à travers les tragédies et les tourments de l’Histoire. Quand pointe le découragement, faisons confiance à Celui qui dirige nos pas.
Nous ignorons ce que l’année qui va commencer bientôt réserve. Gardons à l’esprit que chaque jour qui se lève, qu’il soit amical ou adverse, offre une perspective où le Christ est présent. Chaque jour, le visiteur s’approche de nous comme un inconnu, tout comme il s’était avancé sur les rives du lac vers ces hommes qui ne savaient pas qui il était. Il prononce les même mots – « Toi, suis-moi » – et il nous place en face des tâches à résoudre aujourd’hui. Chaque jour, soufflons sur une étincelle pour la transformer en lumière.
Amen
Note : Les textes des prédications présentées dans le cadre de la série ‘Prédication de la semaine’ sont susceptibles d’avoir été légèrement adaptés au présent support (site Internet) et à l’audience de ce dernier. Les adaptations restent mineures et n’affectent en rien le sens de la prédication originale.
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