La tentation de Jésus
Prédication sur Matthieu 4, 1-11
Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable.
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple
et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire.
Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. »
Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »
Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.
Prédication – La tentation de Jésus
En 2017, une nouvelle traduction du Notre Père avait fait couler pas mal d’encre, bien qu’il ne s’agisse que d’un bout de phrase qui était changé. On ne dit plus « ne nous soumet pas à la tentation », mais « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Et c’est vrai, comme nous allons le voir, que Dieu ne soumet pas à la tentation. Mais il l’autorise parfois. Même pour Jésus ! Car la tentation permet de se faire un peu les muscles, surtout après un moment d’exaltation spirituelle, afin de pouvoir développer une foi solide.
Tournons-nous vers la tentation de Jésus.
Juste avant, Jésus est allé voir Jean-Baptiste et a reçu le baptême. Les cieux se sont ouverts, le Saint-Esprit est descendu, et le Père a parlé : celui-ci est mon fils bien aimé en qui j’ai mis toute mon affection. C’est à la fois l’inauguration du ministère du Christ, et un temps fort spirituellement parlant. Et droit derrière, le Saint-Esprit conduit Jésus au désert pour y être tenté par le diable.
Déjà dans ce premier verset que nous avons entendu, j’aimerais dérouler deux éléments qui sont importants.
Premièrement, la tentation est l’œuvre du diable. Elle n’est pas l’œuvre de Dieu.
Mais. Deuxièmement, le diable n’agit que dans la mesure où Dieu le permet. Il nous faut donc nous débarrasser de l’idée selon laquelle le diable, bien qu’étant une force d’opposition à Dieu, dispose d’un quelconque pouvoir en soi. Si le diable peut tenter Jésus, c’est que Dieu l’a autorisé.
Et la manière dont cette tentation de Jésus nous est présentée fait écho à une autre partie de nos bibles, à la traversée du désert par le peuple d’Israël. Le lieu est le même, la durée des 40 jours pour Jésus fait écho aux 40 ans de l’Exode. Et à chaque fois que Jésus prend la parole, il cite un passage du Deutéronome, ce livre qui retrace les événements de l’Exode et contient les derniers discours de Moïse avant que le peuple ne quitte enfin le désert du Sinaï.
Mais là où Israël a échoué, et a cédé à la tentation, se condamnant ainsi à rester plus longtemps que prévu dans le désert, nous voyons ici Jésus réussir. Pas une fois, pas deux fois, mais trois fois. Et chacune de ces tentations a quelque chose à nous dire.
Première tentation : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains »
« Si tu es Fils de Dieu ». Le diable n’est pas en train de douter de cela. On peut aussi traduire « puisque » tu es Fils de Dieu. La question n’est donc pas si oui ou non il est le Fils de Dieu, mais quel genre de Fils de Dieu il est. Est-il du genre à abuser de ses pouvoirs pour satisfaire un besoin charnel. Cette tentation fait écho au miracle de la manne durant l’Exode.
Le diable utilise la faim ressentie par Jésus, qui est le résultat de son jeûne, pour le tenter.
Nous expérimentons également des tentations de cet ordre. La tentation de satisfaire à des besoins physiques ou physiologiques en abusant d’un pouvoir que nous pouvons détenir, ou d’une manière inappropriée. C’est la tentation de la satisfaction temporaire.
La réponse de Jésus est de dire que l’essentiel pour l’humain, ce qui compte le plus, c’est la nourriture spirituelle qu’il identifie à la Parole de Dieu. L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sortira de la bouche de Dieu. Et c’est justement dans cette Parole de Dieu que Jésus va puiser pour contrer et résister à chaque tentation. De la même manière, plus nous sommes ancrés dans la Parole de Dieu, plus il nous est facile de résister. Dans l’épître aux Éphésiens, Paul nous invite à « recevoir la parole de Dieu comme épée donnée par l’Esprit saint. »
La deuxième tentation, est celle de l’abus de son statut vis-à-vis de Dieu, de la mise à l’épreuve de Dieu.
Le diable dit ici à Jésus de se jeter en bas du temple de Jérusalem pour que les anges le rattrapent. Comme Jésus juste avant a rappelé l’importance de la Parole de Dieu, le diable cite les Écritures, ici le Psaume 91. Non seulement il connaît très bien Jésus, mais il connaît très bien la Bible. Et il sait comment la tordre et la manipuler pour lui faire dire tout et n’importe quoi. Il y a ici une différence fondamentale entre s’encoubler accidentellement, ce dont parle le Psaume, et se jeter d’une hauteur volontairement afin de provoquer une réaction de la part de Dieu.
Elle fait écho à l’épisode de Massah et Meriba, quand dans le désert le peuple a mis Dieu à l’épreuve pour obtenir de l’eau, en demandant ainsi une preuve de la présence de Dieu.
Il peut nous arriver d’être tentés de la même manière. D’être tentés de tenter Dieu. On essaie de faire un marché. Seigneur, montre-moi que tu existes en me faisant gagner 10 millions au loto, et j’en donnerai 1 à l’Église. Ça paiera le salaire d’un pasteur pendant 10 ans !
Mais aussi en se mettant volontairement en danger, et en comptant sur Dieu pour nous sortir du mauvais pas. Tout ce que l’on peut imaginer pour essayer de provoquer une réaction ou une action de Dieu en notre faveur, parfois sous des airs de grande foi. Ma femme vient d’une région des USA connue pour ses manipulateurs de serpents. Pour prouver qu’ils ont une grande foi, ils tordent le message biblique et manipulent des serpents ultra venimeux à mains nues, en comptant sur Dieu pour les sauver au cas où ils se font mordre.
Mais Jésus rétorque : tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu.
La troisième tentation est celle du pouvoir temporel, de la domination et du succès immédiat.
Elle est terrible celle-là. Ce que le diable propose à Jésus c’est de gagner un pouvoir temporel qu’il va de toute façon obtenir, mais en faisant l’économie de la Croix. Mais le prix à payer est immense. Le diable dit : pour cela, tu dois t’abaisser, te prosterner devant moi, et m’adorer.
Vous avez peut-être vu le documentaire, co-réalisé par un meyrinois d’ailleurs, le sociologue des religions Philippe Gonzalez, intitulé « Les évangéliques à la conquête du monde ». Il y explore cette tentation qui pèse sur l’Église – et pas que les évangéliques, les réformés ne sont pas immunisés. Une tentation qui fait de terribles dégâts lorsque nous y succombons, lorsque nous établissons un parallèle entre la volonté de Dieu et un agenda politique, n’importe quel agenda politique.
Cela, dit Jésus, ce n’est rien de moins que de l’idolâtrie. C’est adorer quelque chose d’autre que Dieu.
Le principe qui est à l’œuvre ici est le même que l’on retrouve derrière toutes les questions de pouvoir, même les plus petites et localisées, d’influence ou d’argent. Cela peut être dans la famille, dans le travail, dans le monde associatif, ou au sein même de l’Église.
« Adore le Seigneur ton Dieu et ne rends de culte qu’à lui seul. »
Trois tentations donc, qui touchent au corps, à l’âme et à l’esprit. Trois tentations qui englobent l’ensemble de l’expérience de la tentation. Dans la première épître de Jean nous lisons ceci : « ce qui est mondain, c’est de vivre en fonction de ses désirs mauvais ou de vouloir tout ce que l’on voit et de se vanter de tout ce que l’on a. Tout cela vient non pas du Père, mais du monde. »
À travers cette expérience du désert, Jésus expérimente toute la variété de tentations que nous pouvons expérimenter. Et c’est une bonne nouvelle. Car nous savons bien que nous cédons bien trop facilement et trop souvent. Non seulement Jésus les connaît pour les avoir expérimentées, mais il les a vaincues.
La deuxième bonne nouvelle, c’est qu’expérimenter la tentation, n’est pas de l’ordre du péché, comme nous pouvons trop souvent l’imaginer. Jésus était sans péché, et il a été tenté. La tentation est une opportunité de céder au péché. C’est un pont qui y mène et que nous pouvons traverser ou non. Nous n’avons donc pas à nous sentir coupable d’être tentés.
Et s’il nous arrive de traverser le pont malgré tout, nous avons cette espérance que nous pouvons faire le chemin inverse, où Jésus nous attend et nous accueille. Car de la même manière qu’il a réussi où Israël a échoué, il a aussi réussi à notre place là où nous échouons.
Amen