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Eglise protestante de Genève
Bible ouverte

La nuit

Prédication d’Alexandre Winter, pasteur et modérateur de la Compagnie des pasteurs et des diacres de l’EPG, proposée à l’occasion de la Nuit de la prédication qui s’est tenue le 4 octobre 2024 à la cathédrale Saint-Pierre


Job 23, 1-17

Alors Job prit la parole et dit :
Aujourd’hui encore ma plainte se fait rebelle, quand ma main pèse sur mon gémissement.
Ah ! Si je savais où le trouver, j’arriverais jusqu’à sa demeure.
J’exposerais devant lui ma cause, j’aurais la bouche pleine d’arguments.
Je saurais par quels discours il me répondrait, et je comprendrais ce qu’il a à me dire.
La violence serait-elle sa plaidoirie ?
Non ! Lui au moins me prêterait attention.
Alors un homme droit s’expliquerait avec lui et j’échapperais pour toujours à mon juge.
Mais si je vais à l’orient, il n’y est pas, à l’occident, je ne l’aperçois pas.
Est-il occupé au nord, je ne peux l’y découvrir, se cache-t-il au midi, je ne l’y vois pas.
Pourtant il sait quel chemin est le mien, s’il m’éprouve, j’en sortirai pur comme l’or. Mon pied s’est agrippé à ses traces, j’ai gardé sa voie et n’ai pas dévié, le précepte de ses lèvres et n’ai pas glissé.
J’ai prisé ses décrets plus que mes principes.
Mais lui, il est tout d’une pièce. Qui le fera revenir ? Son bon plaisir, c’est chose faite.
Aussi exécutera-t-il la sentence qui me concerne comme tant d’autres qu’il garde en instance.
Voilà pourquoi sa présence me bouleverse.
Plus je réfléchis, plus j’ai peur de lui.
Dieu a amolli mon courage, Shaddaï m’a bouleversé, car je n’ai pas été anéanti avant la tombée des ténèbres, mais il ne m’a pas épargné l’obscurité qui vient.


Marc 1, 35-39

Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert ; là, il priait.
Simon se mit à sa recherche, ainsi que ses compagnons, et ils le trouvèrent.
Ils lui disent : « Tout le monde te cherche. » Et il leur dit : « Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, pour que j’y proclame aussi l’Évangile : car c’est pour cela que je suis sorti. »
Et il alla par toute la Galilée ; il prêchait dans leurs synagogues et chassait les démons.


Prédication – La Nuit

La nuit.

L’insondable nuit.

L’insaisissable nuit.

Ce temps de l’incertain.

De ce qui n’est pas sûr.

Avez-vous déjà marché de nuit ? Vraiment de nuit ?

Sûrement que cela a pu vous arriver.

À l’extérieur. En forêt peut-être. À la montagne. Dans le désert.

Loin des villes en tous cas où l’on ne sait plus bien à quoi la nuit ressemble.

Ou à l’intérieur. Un réveil nocturne dans un lieu sans lumière…

Et alors pour nous déplacer : les bras en avant.

Cherchant à ne rien heurter. Marchant doucement. Aux aguets.

Qu’est-elle la nuit ?

Depuis la première page de la Bible, depuis le premier jour de la Création, selon le récit de la Genèse, nous le savons. Elle est l’absence de lumière (ce que la physique je crois ne dément pas). Elle est donc le versant obscur. L’autre face du jour. Elle est là quand la lumière n’est pas là, quand le jour n’est pas là. Elle est donc une sorte de créature née de l’absence. Née du vide. Née du manque. Elle est là du fait qu’autre chose, la lumière, n’est pas. Elle est une espèce de temps par défaut. De temps en attente.

Et peut-être est-ce en cela en partie qu’elle nous fascine. Ou nous fait peur. Ou nous trouble.

Dans la Genèse déjà, et le mot est repris dans le passage du Livre de Job, la nuit en hébreu (layla) est associée à un autre mot que nous traduisons « ténèbre », ou « obscurit é» : ha choshekh. Un mot guttural, un mot grave, un peu sombre presque quand on le prononce.

Nuit et ténèbre où Job s’enfonce. Où les disciples trouvent Jésus en train de prier.

La nuit est le temps de l’incertain, je l’ai dit.

Et je crois que l’on peut aussi le comprendre par l’expérience. Étant dans la nuit, une question se pose : allons-nous vers plus de nuit ? C’est-à-dire : est-ce que la nuit va encore s’assombrir ? « S’épaissir » comme on dit ? Ou au contraire va-t-elle s’éclaircir ? Aller vers le matin qui vient… ?

Nous nous rappelons ici le cri qui jaillit chez Ésaïe proclamant sur Edom par deux fois : «Veilleur, où en est la nuit ? Veilleur, où en est la nuit?» (Es 22, 11)

Y a-t-il là quelque chose que nous pouvons sentir ? Dans nos nuits. Dans ces moments de nos vies qui sont des nuits. Quand nous sommes perdus. Quand nous ne savons plus bien dans quelle direction aller. Quand les choses autour de nous, ou les êtres, deviennent difformes, confus, menaçants.

Ou alors lorsque c’est en nous-mêmes que nous trouvons une nuit. Une détresse. Une blessure. Et que nous ne savons pas bien comment faire. Ou même quoi faire. S’en approcher ? S’en occuper ? S’en éloigner ?

Voilà donc Job que nous prenons cette nuit comme guide. Car la nuit, il la connaît. Il l’évoque tant et plus dans ses poèmes. Il s’en est fait une spécialité. Et ce depuis le premier d’entre eux, tout au début du Livre : « Périsse le jour où j’allais être enfanté. Et la nuit qui a dit « un homme a été conçu » (Jb 3, 3). Ici jour et nuit sont mentionnés ensemble – et cela sera ainsi dans la suite – et peut-être est-ce là le grand trouble dans lequel Job est plongé. Qu’il n’y ait plus le jour séparé de la nuit et la nuit séparée du jour. Mais que le jour soit devenu nuit et que dans l’expérience de son malheur, il n’y ait plus de jour qui succède à la nuit.

Dans le passage que nous avons lu, Job n’est déjà plus tout à fait le même qu’au début du Livre. Par la dispute avec ses interlocuteurs, il a approfondi son cri et son appel. Dans ce passage en effet, il confesse qu’il sait, qu’il croit que Dieu lui prête attention, qu’Il lui rendra justice. Mais que jusque là, il ne l’a pas trouvé. Il fait, dirait-on, l’expérience que la nuit dans laquelle il est entré le malmène, le bouleverse, le trouble au plus haut point… mais qu’elle ne le détruit pas. Que la nuit, ce n’est pas l’anéantissement. C’est au contraire peut-être même l’étonnement de pouvoir rester vivant dans la nuit. L’étonnement de pouvoir supporter la nuit, de pouvoir la traverser.

J’entendais récemment un reportage comprenant des témoignages de femmes ayant vécu des atrocités extrêmes dans des réseaux criminels. Certains non loin de nous. Dans leurs voix, je remarquais bien sûr encore du trouble. De la fragilité en même temps qu’une incroyable force : celle d’un métal qui serait passé par le feu. Et cet étonnement je crois d’avoir survécu à l’enfer, la surprise d’exister encore. Et pour plusieurs d’entre elles, de pouvoir témoigner que c’est Dieu qui avait pu les aider à sortir vivantes de ces horreurs.

Job, à ce moment de son histoire, n’est pas au bout de sa nuit. Il termine ce passage en parlant de l’« obscurité qui vient » mais déjà il sent, déjà il exprime que sa nuit n’est pas vide… Peut-être que là où il a cherché, il n’a trouvé personne. Mais au dedans de lui quelque chose déjà a changé. S’il vit encore, c’est que Dieu, d’une certaine façon, vit aussi. Et si Son mystère reste entier ; Il est déjà présent dans ce bouleversement que Job évoque par deux fois. Il est ce bouleversement même.

Traverser les Écritures et se retrouver d’un coup avec Jésus et ses disciples au début de l’Évangile selon Marc est peut-être aussi un peu troublant. Une chose nous y conduit pourtant. La nuit, encore elle, où (on aurait envie de dire) Jésus s’est rendu pour y prier. Seul, à l’écart. Dans la nuit.

Nous savons déjà par le récit qui précède que toute la nuit il a guéri des malades et chassé des démons. Le shabbat terminait, sa renommée se répandait et, dit le texte, « toute la ville était rassemblée à la porte » où il se trouvait. (Mc 1, 33) Dans cette nuit, une quête encore. Celle des disciples qui, ne le voyant plus, lui disent en le retrouvant: « Tout le monde te cherche ».

Comme Job cherchait. Croyant que la nuit n’était pas assez nuit pour que Dieu ne s’y trouve pas.

« Tout le monde te cherche. » Tout le monde a besoin de croire que la nuit finira. Tout le monde a besoin de croire qu’au bout de la nuit une lumière point.

Et nous disons : « Dans ce monde tellement agité par les guerres, ruiné par les divisions, perdu dans les paroles vaines, nous aussi nous te cherchons, SEIGNEUR. Nous aussi nous avons connu des nuits, peut-être en connaitrons-nous encore. Mais comme les disciples, nous t’avons retrouvé. Tu n’était pas loin. Juste un peu à l’écart. Et alors déjà une lumière est parue. Et tu nous as dit à nous aussi : « Allons ailleurs ». Et nous sommes prêts à y aller. Parce que c’est avec Toi. La nuit sombre quand Toi SEIGNEUR Tu nous précèdes. La nuit sombre quand Toi Tu te lèves. »

Amen


Note : Les textes des prédications présentées dans le cadre de la série ‘Prédication de la semaine’ sont susceptibles d’avoir été légèrement adaptés au présent support (site Internet) et à l’audience de ce dernier. Les adaptations restent mineures et n’affectent en rien le sens de la prédication originale.


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