
« Vous connaîtrez la liberté et la vérité vous rendra libres » – Quelle liberté pour le chrétien ?
Mai 2025
Hans-Christoph Askani, professeur honoraire de théologie systématique
Le sentiment de liberté fait partie intégrante de la conscience du chrétien protestant. Liberté par rapport à la tradition, liberté par rapport à la tutelle de l’Église, liberté par rapport aux structures hiérarchiques de l’Église, liberté par rapport aux dogmes… Peut-être que dans la fierté d’une telle libération, on n’a pas toujours été tout à fait à la hauteur de ce dont on se croyait libéré. Sans ancrage dans la tradition, on vit sans histoire, comme un électron libre ; sans orientation sur ce qui est décisif dans la foi chrétienne, il est difficile de partager sa foi avec d’autres chrétiens… Et pourtant, nous ne voulons pas laisser la tradition héritée devenir le guide de notre compréhension de la parole biblique ; et nous ne voulons pas nous laisser dicter ce que nous devons croire.
Mais une telle liberté, est-ce déjà la liberté chrétienne dans son sens essentiel ? Curieusement, le sens essentiel de la liberté chrétienne ne réside pas dans le fait que nous soyons libérés d’une quelconque autorité extérieure, mais de nous-mêmes. Pourquoi de nous-mêmes ? Serions-nous prisonniers ? Non, nous ne sommes pas en prison ; personne ne nous dit ce que nous devons faire ou ne pas faire ; nous pouvons aller où nous voulons ; nous pouvons dire ce que nous pensons…
En quoi ne serions-nous donc pas libres ? Selon le témoignage du Nouveau Testament, ce qui nous prive de liberté, c’est la « chair » (en grec : sarx). On a souvent compris cela comme la puissance des pulsions qui soumettent notre libre arbitre ; et on l’a souvent interprété dans l’histoire de l’Église comme se rapportant à la sexualité, que l’on a diabolisée en conséquence. On aurait donc découvert, on aurait donc identifié l’ennemi qui nous tient prisonniers ! – a-t-on pensé. Si seulement c’était aussi simple et aussi clair ! Mais ce n’est pas si simple. Dans le Nouveau Testament, la « chair » signifie quelque chose de plus vaste. La « chair » est la contrainte dans laquelle nous nous trouvons par rapport à nous-mêmes. En tant qu’êtres humains, nous pouvons faire quelque chose de nous-mêmes, c’est là que réside notre dignité. Mais cette dignité peut se retourner : nous devons faire quelque chose de nous-mêmes. Il en résulte une foule de questions : Ai-je déjà assez travaillé pour pouvoir penser que ma vie a un sens ? Ai-je déjà assez vécu ? N’aurais-je pas dû faire encore ceci ou cela : voyager dans d’autres pays, rencontrer d’autres personnes, lire d’autres livres… ? Quand serai-je capable de dire « oui » à ma vie ? Ne serait-ce pas là la vraie liberté ? Mais arriverai-je un jour à dire « oui » à ma vie ?
Et voilà que la foi chrétienne dit quelque chose de tout à fait étonnant. C’est d’ailleurs déjà la deuxième chose étonnante qu’elle dit en rapport avec le thème qui nous intéresse ici. La première était : « Si tu es prisonnier, c’est que tu es prisonnier de toi-même. » Et maintenant la deuxième : « Si tu veux être libre, alors un autre doit te libérer. » Pour reprendre les mots utilisés précédemment : Je ne pourrais peut-être jamais dire « oui » à ma vie au point d’y croire totalement ; au point de ne plus devoir courir après ce « oui ». Mais en fin de compte, ce n’est pas moi qui dois dire « oui » à ma vie ; c’est un autre qui doit dire « oui » à ma vie. Quelqu’un en qui je peux croire plus qu’en moi-même.
C’est la vraie question de la liberté chrétienne : puis-je croire qu’un autre dise « oui » à ma vie ? Et : puis-je croire que je peux croire en cet autre plus qu’en moi-même ? Si je pouvais croire cela, alors je serais vraiment libre. Vraiment libre, selon la compréhension chrétienne de la liberté.
Pour aller plus loin :
- Paul Tillich, Le courage d’être. Traduction par Marie Delcourt, Paris : Aubier 1953.
- Martin Luther, De la liberté chrétienne. Traduction par Ph. Büttgen, Paris : Point 2017.
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