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Eglise protestante de Genève
© Sasin Tipchai de Pixabay

L’Église doit-elle s’engager ?

Novembre 2022

Jean-Yves Rémond

De nos jours, beaucoup d’églises s’engagent dans des questions de société ou des débats politiques, et ce parfois dans des directions discutables. Cet engagement est-il souhaitable, et si oui quels seraient les critères qui pourraient garantir qu’il soit conforme au message originel de Jésus Christ ? Et cette garantie est-elle même possible ?

A cet égard, il y a deux niveaux d’engagement : celui de chaque membre d’une église, même le plus modeste, à titre personnel mais en tant que membre de cette église, et celui de l’institution ecclésiastique en tant que telle.

Le Christ lui-même est un exemple d’engagement et cet engagement absolu le conduira à risquer sa vie, en parfaite conscience, jusqu’à sa condamnation à mort. En ce sens, on peut voir l’Évangile comme un texte révolutionnaire, parce qu’il met en cause les institutions et la religion établies, dans la mesure où elles se sont éloignées peu à peu du véritable message divin : d’où le seul commandement édicté par Jésus, qui doit prévaloir sur tous les autres (sans les abolir mais en les accomplissant, cf. Mt 5,17), c’est-à-dire le commandement d’amour. L’Église du Christ est ainsi la seule institution humaine dont le texte fondateur a comme pilier central la nécessité et la primauté de l’amour dans le monde : l’amour de Dieu et l’amour du prochain.

Il me semble que tout engagement de l’Église devrait partir de cet exemple que nous a donné le Christ et de sa parole qui constitue l’Évangile. Les choses deviennent alors plus simples, et la nécessité de l’engagement de l’Église dans le monde plus évidente, car les nouvelles du monde qui nous submergent chaque jour rendent aveuglante cette évidence. Combien d’atteintes au commandement d’amour chaque jour, chaque heure, chaque seconde ? Si l’Église ne s’engage pas pour dénoncer cela et pour tenter de changer au moins un peu les choses, qui le fera à sa place ? Qui rendra les souffrances du monde un peu moins dures en apportant des mots d’amour à ceux qui souffrent, en partageant et en soulageant autant que faire se peut ces souffrances ? Qui dénoncera l’écrasement des plus faibles par la force déchaînée ? Qui dénoncera la destruction de la Planète Terre par l’avidité des plus riches ?

Le Christ a pris parti dans tous ces domaines. Rappelons-nous sa réponse au jeune homme riche (Mt 19,16-26), son dialogue avec la femme adultère, son emportement contre les marchands du temple, sans parler du Sermon sur la montagne qui est un véritable guide de vie radicalement à l’opposé de la recherche des biens et de la jouissance de notre monde. Et Jésus a consacré beaucoup de son temps aux plus défavorisés, aux rejetés de la société, aux malades, aux pauvres, etc… Difficile d’occulter tous les messages contenus dans ces épisodes des évangiles !

Toute église qui se dit chrétienne reçoit donc naturellement, ontologiquement pourrait-on dire, par l’exemple et les paroles de Jésus-Christ, la légitimation de ses engagements, qui ne sont dès lors plus un choix mais une obligation. Mais encore faut-il que ses modalités d’engagement soient justes, dans les deux sens du mot : soucieuses d’œuvrer pour la justice dans le monde (cf. Mt 5,6), d’une part, et justifiées par la foi en Jésus-Christ d’autre part. N’oublions pas en effet que ce n’est pas l’engagement qui nous rend justes, c’est la foi qui nous est donnée par la grâce de Dieu qui nous rend capables d’être justes. Mais il faut aussi, à cet égard, que notre foi soit éclairée, qu’elle soit questionnante pour notre intelligence, afin que nos engagements soient justes, c’est-à-dire en particulier qu’ils ne justifient pas l’injustice ou la violence. C’est le difficile exercice de notre condition humaine, parce que nous ne pouvons que tendre à suivre le modèle du Christ dans ses engagements et dans son commandement d’amour. Nous ne serons jamais à son niveau sur cette terre, mais c’est la vocation et le rôle de l’Église et de ses membres de ne jamais cesser d’essayer.

C’est en ce sens, et sans doute en ce sens seulement, dans la conscience de leur imperfection mais en tendant vers elle (« soyez parfaits… », dit le Christ ), que l’Église et ses membres peuvent être le sel de la terre et la lumière du monde.