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La liberté, pour quoi faire ?
Décembre 2024
Bernard Rordorf
Prof. Hon. de théologie systématique
« C’est pour que nous vivions dans la liberté que Christ nous a libérés. » Cette déclaration de l’apôtre Paul, au début du chapitre 5 de l’épître aux Galates, est à prendre à la lettre. En nous libérant, le Christ ne veut pas autre chose que notre liberté. Et cela signifie, comme Jacques Ellul ne s’est pas lassé de le rappeler, que la liberté n’est pas un aspect de la vie chrétienne, mais le tout de la vie chrétienne.
Mais si nous avons besoin d’être libérés pour être libres, c’est que cette liberté est menacée et c’est pourquoi Paul indique aussitôt les deux tentations qui peuvent nous faire perdre cette liberté. D’une part notre attachement à la loi, d’autre part notre soumission à la chair.
Il est surprenant que la loi puisse être un danger pour la liberté. Ne représente-t-elle pas d’une certaine façon les commandements de Dieu ? Comment peut-elle constituer pour les croyants une forme d’esclavage ? Paul évoque une situation précise : à Antioche, certains des croyants d’origine juive, et même Pierre, ont pris prétexte de leur statut de circoncis pour prendre leurs repas séparément des croyants venus du paganisme, qu’ils traitaient d’incirconcis. Il est clair que pour un juif la circoncision est un élément central de son identité, telle que Dieu la définit. Mais que signifie l’usage de cette loi lorsqu’elle aboutit à rompre la solidarité avec d’autres croyants, alors même que tous se réclament de la même appartenance à Jésus Christ ?
De manière plus générale, la loi comporte un risque d’esclavage quand on cherche dans l’obéissance à cette loi sa propre sécurité : la respectabilité devant les hommes et la garantie d’être accepté par Dieu. Car dès qu’on fait cela on est inéluctablement conduit à juger les autres, et à estimer qu’il y a des gens que l’on ne peut pas fréquenter si l’on veut être fidèle à Dieu. La loi fonctionne alors comme un instrument de séparation et d’exclusion. Il n’est que de se souvenir du grand reproche que des juifs pieux adressaient à Jésus, de se mettre à table, donc de se compromettre, avec des pécheurs et des prostituées.
Au contraire, être libre, c’est être capable d’entrer en relation avec quiconque, sans préjugé ni jugement. Et cela suppose précisément que nous soyons libres à l’égard de notre besoin constant de juger les autres. La liberté que nous donne le Christ fait que nous ne cherchons plus à nous appuyer sur la loi pour renforcer notre confiance en nous-mêmes, elle nous rend capables, en d’autres termes, de distinguer en autrui entre la personne et ses actes ou ses qualités. Ne pas réduire l’autre au mensonge qu’il a commis, cela ne consiste pas à minimiser le mensonge, mais à se mettre à l’écoute avec lui de sa vocation profonde, pour qu’il puisse aller au-delà de ce qu’il a fait. Faire appel à la personne en l’autre, c’est proprement aimer son prochain. Ainsi se réalise, selon l’expression de Paul, et dans la liberté , « la foi agissante par l’amour ».
La chair représente un autre type de danger pour la liberté. Le mot « chair », dans son usage biblique, ne signifie pas seulement notre réalité corporelle, mais tout ce qui constitue notre humanité mortelle, avec ses contradictions et ses faiblesses, et ce qui nous pousse à vouloir dominer les autres, à profiter d’eux, à les soumettre à nos passions et à nos désirs. Toujours dans ce même chapitre 5 de l’épître aux Galates, Paul énumère quelques-unes de ce qu’il appelle « les œuvres de la chair » : l’impureté, la haine, la discorde, la jalousie, la colère, la rivalité, l’idolâtrie… Si l’enjeu de la liberté à l’égard de la loi était de ne pas réduire notre prochain à ses actes, la liberté à l’égard de la chair, qui est aussi bien une liberté à l’égard de soi-même, est de ne pas le réduire à l’utilité qu’il peut avoir d’une façon ou d’une autre pour nous. Et ici, comme là, la liberté devient concrète dans l’amour.
Nous découvrons ainsi ce qui est peut-être la pensée la plus profonde concernant la vie chrétienne, à savoir la réciprocité de la liberté et de l’amour. L’une ne va pas sans l’autre. On ne peut aimer que librement ou, plus précisément, il faut être libre pour pouvoir aimer. Et inversement, la plus grande liberté se réalise dans l’amour, car on ne peut pas être libre davantage qu’en aimant. C’est pourquoi Dieu nous veut libres : la seule chose qu’il attend vraiment de nous est que nous l’aimions, c’est-à-dire que nous répondions à son amour.
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