
Jacques Ellul et les « Combats pour la liberté »
Octobre 2025
Elisabeth Schenker, pasteure
Pour cette année scolaire 2025-26, l’équipe d‘Une perspective à la foi vous invite à la lecture. Chaque mois, nous vous proposerons une mise en bouche autour d’un ouvrage et/ou de son auteur-tice, pour vous donner envie de vous plonger vous-mêmes dans la lecture et la réflexion qu’elle suscite. Les styles et les époques représentés seront variés, et notre fil rouge sera la liberté. Pour ce premier mois, place à Jacques Ellul, et à ses « Combats pour la liberté », qu’Elisabeth Schenker vous encourage à lire.
« La liberté, c’est comme la girafe. Je ne sais pas la dessiner, mais quand j’en vois une, je sais la reconnaître »[1]. C’est à ce qu’elle produit en termes d’implication dans le monde que Jacques Ellul[2] reconnaissait la liberté chrétienne. Le troisième tome de son Éthique de la liberté déploie en effet une réflexion à la fois plurielle et radicale sur la liberté propre au chrétien et la responsabilité qu’elle lui impose, en toute conscience. Le paradoxe est là : libérés par le Christ, libres en lui, nous n’avons pourtant en effet pas le choix, car le monde, « nous y sommes, et rien n’y échappe »[3]. C’est pourquoi au terme « d’engagement », Ellul préfère celui d’implication. Conquête fragile, combat toujours, la liberté du chrétien est tension avec les forces d’aliénation, quelles qu’elles soient : « choisis la vie, afin que tu vives, toi et tout ce que tu vas semer » (Deutéronome 30, 19).
Or, l’un des combats les plus rudes peut-être pour le chrétien engagé, d’hier comme aujourd’hui, n’est-il pas d’entendre que ce n’est pas la foi qui est la condition du salut, mais bien « l’engagement dans une responsabilité, dans un témoignage, dans un service, qui doit être la réponse libre de l’amour de l’homme à l’amour de Dieu »[4] ?
L’un des combats que nous avons à mener, écrivait-il dans les années 80, est en effet celui de la liberté pour les autres : « chaque homme[5] doit pouvoir être libre de professer l’idéologie, la religion, la philosophie, l’absence de religion qu’il décide (…). Par conséquent, c’est pour cette liberté des autres que les chrétiens ont à combattre, en n’espérant rien de plus que d’être mis au même rang que les autres »[6].
Ellul l’affirme : la liberté du chrétien implique une conception universelle du salut : le salut universel accordé par le Dieu d’amour l’est en effet pour tous les hommes, « même pour ceux qui ne croient pas »[7]. Et si cette conception de la liberté pour autrui a des répercussions politiques, puisqu’elle implique une conception résolument laïque de l’État, elle en a a fortiori pour l’Église : « la liberté qui est en Christ interdit au Chrétien et à l’Église d’être dogmatiques, de prétendre détenir toute la vérité et la vérité seule, de se fermer à une autre prédication (…). Autrement dit, l’Église doit être pluraliste. Elle doit admettre qu’il y a plusieurs formes liturgiques, de piété, d’expression de la foi et aussi d’explication de la Révélation. Comme toujours, l’important est de maintenir l’unité par l’amour. (…) Il faut bien admettre que toute la Vérité[8] nous a été révélée, mais que si ample que soit notre connaissance biblique, si profonde notre obéissance, si fidèle notre écoute, nous n’arrivons jamais à qu’à une connaissance partielle de cette révélation »[9].
Pour aller plus loin dans la découverte ou la redécouverte de la pensée libre de ce théologien, nourrie d’un ancrage biblique profond, ne ratez pas le Rendez-vous du jeudi 9 octobre, à la paroisse Saint-Pierre : « Jacques Ellul, une conception singulière de la liberté ». Frédéric Rognon, professeur de philosophie des religions à la faculté de théologie protestante de Strasbourg, pourra sans doute répondre à toutes les questions que vous vous posez sur la liberté chez Jacques Ellul.
D’autant que, plus peut-être que de liberté, c’est d’espérance dont nous avons besoin aujourd’hui. Et c’est Jacques Ellul encore qui nous le rappelle : « Il y a dans la Bible une relation indissoluble entre espérance et liberté. L’espérance, nous rattachant au système permanent, provoque notre liberté envers les circonstances, envers les structures sociales, envers les mouvements idéologiques »[10].
[1] Etienne Perrot, sj.
[2] Théologien, philosophe, sociologue (1912-1994).
[3] Jacques Ellul, Les combats de la liberté, Labor et Fides, 2020, p. 14.
(La première édition date de 1984).
[4] Id. p. 307.
[5] Entendez chaque humain, Ellul fait en effet aux femmes une place décisive dans rien de moins que l’avenir de l’humanité.
[6] Jacques Ellul, Les combats de la liberté, Labor et Fides, 2020. p. 307.
[7] Id. p. 307.
[8] Id. « La Vérité, c’est Jésus-Christ ». Id. p. 79.
[9] Id. p.79
[10] Id. p. 25.
Clause de non-responsabilité :
Les textes proposés dans le cadre de la série ‘Un perspective à la foi’, ainsi que les informations, idées et opinions qui y sont exprimées, sont ceux de leurs auteur.e.s, et ne reflètent pas nécessairement les positions, idées et opinions de l’Église protestante de Genève (EPG). Ils engagent la seule responsabilité de leurs auteur.e.s