Dimanche du Christ Roi
Prédication proposée par le pasteur Emmanuel Rolland.
Jean 18, 33-38 – « Es-tu le roi des juifs ? »
33 Pilate rentra dans le prétoire, appela Jésus, et lui dit: Es-tu le roi des Juifs?
34 Jésus répondit: Est-ce de toi-même que tu dis cela, ou d’autres te l’ont-ils dit de moi?
35 Pilate répondit: Moi, suis-je Juif ? Ta nation et les principaux sacrificateurs t’ont livré à moi : qu’as-tu fait ?
36 Mon royaume n’est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré aux Juifs ; mais maintenant mon royaume n’est point d’ici-bas.
37 Pilate lui dit : Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.
38 Pilate lui dit : Qu’est-ce que la vérité ? Après avoir dit cela, il sortit de nouveau pour aller vers les Juifs, et il leur dit : Je ne trouve aucun crime en lui.
Prédication – Dimanche du Christ Roi
Nous vivons, nous les chrétiens, avec deux calendriers : le calendrier civil et le calendrier liturgique, rythmé par les grandes étapes de la vie de Jésus. Si le calendrier civil débute le 1er janvier et s’achève le 31 décembre, le calendrier liturgique commence non pas le 25 décembre, jour de la naissance du Christ, mais le premier dimanche de l’Avent, situé 4 dimanches avant Noël. Et par conséquent, le dernier dimanche de l’année liturgique, c’est le dernier dimanche avant le premier dimanche de l’Avent c’est-à-dire ce dimanche 24 novembre, qui est, dans la tradition liturgique « le dimanche du Christ roi ». Au fond, le calendrier liturgique se déploie depuis le premier dimanche de l’Avent où l’on se prépare à la venue du Sauveur du monde sous les traits de l’enfant de Bethléem jusqu’au dimanche du Christ roi, où l’enfant, devenu grand, règne sur l’univers entier. On peut trouver cela fantaisiste, on peut aussi y trouver le prétexte de méditer sur la royauté du Christ dans un monde qui semble abandonné à ses démons.

Pour planter le décor, j’ai choisi cette gravure de Dürer. J’aurais pu en choisir une autre mais celle-ci a le mérite de mettre en évidence la « titulature », ce fameux écriteau que Pilate fit placer sur la croix de Jésus et dont les peintres ont fait le célèbre acronyme grec INRI qui se traduit en français de la manière suivante : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Qui est Jésus de Nazareth, le roi des juifs ? Un condamné martyrisé, agonisant les mains et les pieds cloués sur une croix, avec pour toute couronne, une couronne d’épines sur la tête. Comment mieux dire le paradoxe de la royauté du Christ ?
Mais sur la royauté paradoxale du Christ, il ne faut pas attendre la fin de sa vie, tout est dit bien avant ! Tout est dit, dès le début !
Vous vous souvenez de la première fois que l’expression « roi des juifs » apparaît pour désigner Jésus, dans l’évangile de Mathieu : c’est au commencement de son évangile, avec les mages – à moins que ce ne soit des rois ! – venus d’Orient adorer qui ? « Le roi des juifs qui vient de naître » ! Les juifs ont pourtant un roi ! Il s’appelle Hérode. Même « Hérode le Grand », comme si être roi ne lui suffisait pas ; comme s’il lui fallait encore se hausser d’un qualificatif : Hérode « le grand » ! Qui a, lui, tous les attributs du roi : un palais, une cour à son service, des soldats à ses ordres et probablement une couronne sur la tête, qui n’est pas une couronne d’épines ! Alors, « où est le roi des juifs qui vient de naître ? » Pas à Jérusalem en tout cas. Pas dans le palais d’Hérode. Pas dans le temple de Jérusalem. Il est là-bas, tout là-bas, dans une petite maison modeste de Bethléem. Déjà, au commencement de sa vie, le choc de deux royautés : la royauté d’Hérode et la royauté du Christ. L’or du palais versus l’or de la paille.
Par la suite, nous pouvons suivre à la trace, au fil des pages de nos évangiles, tout ce que dit Jésus de sa royauté, de son royaume.
Qu’annonce-t-il ?« Le Royaume » ! « Le Royaume de Dieu s’est approché ». « Convertissez-vous – c’est-à-dire : changez de vie – car le Royaume de Dieu est proche ». Ce Royaume de Dieu qui se rapproche ne va pas changer la vie ; il m’incite à changer ma vie ! Jésus ne m’appelle pas à la révolution mais à la conversion, à la révolution intérieure. Il n’appelle pas à changer de roi mais à me changer, moi. Il n’appelle pas à renverser le gouvernement ; il m’appelle à gouverner ma vie autrement. Il dit que dans ce monde où Hérode le Grand est au pouvoir à Jérusalem et où César règne à Rome, si on transpose, on dirait dans ce monde où Poutine règne à Moscou, Netanyahou à Jérusalem et où Trump s’apprête à reprendre ses quartiers à la Maison Blanche, Dieu règne. Il est proche. Il est là. Pas à la place de Hérode, César, Trump, Poutine et Netanyahou, mais en marge, dans l’exact espace géographique qui sépare la capitale de l’empire de la petite bourgade de province de Bethléem, dans l’exact espace spirituel qui sépare la volonté de toute-puissance de la volonté de « non-puissance », dans l’exact espace existentiel qui sépare la volonté d’asservir de la volonté de servir. Jésus n’a jamais eu un mot de travers, un mot de condamnation ni contre Hérode ni contre César ni contre Pilate. Il ne s’en est jamais plaint. Il ne s’en est jamais pris à eux. Hérode le chasse, il ne se lance pas dans une guérilla vengeresse. Il fuit en Égypte. Quand on lui demande si refuser de payer l’impôt à César est un acte de résistance et payer l’impôt un acte de collabo, il répond : rends à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Quand il est amené pieds et poings liés devant Pilate, il philosophe avec lui sur l’essence de la royauté, du pouvoir, de la vérité et du mensonge. Vous ne trouverez jamais Jésus dans une posture d’opposition aux pouvoirs politiques en place. Il est ailleurs. Il mène un autre combat, ce qu’il dira à sa manière à la fois mystérieuse et limpide : « Ma royauté n’est pas de ce monde ».
Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’il y aurait un autre monde que notre monde, sur lequel Jésus régnerait ? Mais alors que viendrait-il fabriquer ici ?
Non, il n’y a pas d’autre monde que notre monde et c’est bien dans notre monde que son Règne vient. Pour régner autrement. Pas à la manière du monde. Pas à la manière des rois de ce monde.
Eux vivent dans des palais entourés de gardes du corps ; lui vit dehors, entouré d’une poignée de disciples itinérants. Il ne fait pas campagne ; il bat la campagne. Après avoir nourri une foule affamée, des gens bien intentionnés veulent le prendre « pour le faire roi » ; il s’enfuit en courant et embarque pour Capernaüm. Il n’a jamais exigé de ses disciples qu’ils s’agenouillent devant lui. C’est lui qui, un jour, a fini par s’agenouiller devant eux. Il n’a jamais demandé qu’on le serve mais qu’on le suive ! Il n’a jamais demandé qu’on l’adore mais qu’on l’écoute. Il n’a même jamais demandé à ses disciples de l’aimer ; il leur a demandé de s’aimer les uns les autres comme lui les aimait. C’est sa manière à lui de régner. Et dans sa manière de régner, on voit à l’œuvre le Règne de Dieu au milieu de nous.
Albert Schweitzer a trouvé une belle image pour évoquer ce Règne de Dieu non pas dans le Ciel avec les anges mais sur la terre avec les femmes et les hommes de ce temps. Il écrivait : « Usons d’une parabole. Voici l’océan, une masse d’eau froide et immobile. Mais dans l’océan coule, de l’équateur vers le pôle un courant d’eau chaude, le Gulf Stream. Demandez à tous les savants comment on peut se représenter selon les données de la physique qu’un courant d’eau chaude coule entre les eaux de l’Océan, comme entre deux rives, mobile dans l’immobile, chaud dans le froid. Ils ne savent pas l’expliquer. Ainsi le Règne du Dieu d’amour dans ce monde. »
Et c’est sûr que cela nous inspire. Cela nous donne non pas une idole mais une icône qui nous montre le chemin, qui nous ouvre le chemin de la vérité et de la vie. Le haut visite le bas ; le lointain se fait proche, l’étranger devient frère, le futur s’invite dans le présent : le Règne de Dieu est là ! Chaque fois que ça se passe. Chaque fois que ça se passe, c’est Dieu lui-même qui passe et qui étend son Règne au milieu de nous.
« Généralement on dit de Dieu qu’il est ou qu’il n’est pas. Dans les grandes mythologies, on le situe à l’origine de toutes choses ou à la fin de toutes choses. Mais jamais ailleurs que dans la Bible, on ne nous dit qu’il vient et que sa venue est liée à la présence d’un homme semblable aux autres hommes, le fils d’un artisan de Galilée, une contrée insignifiante des confins de l’empire romain. Sa venue n’est ni terrifiante ni cataclysmique : elle libère, elle apporte la joie et la paix. Elle exorcise le monde de ses démons. Le présent et le futur sont articulés d’une nouvelle façon. Normalement, le présent précède le futur et le futur succède au présent. L’annonce du Dieu qui vient, portée par Jésus, inverse ce rapport. Dieu vient du futur pour envahir le présent. » Jean Zumstein.
Nous avons ouvert cette méditation avec la Passion, nous la refermons avec la Résurrection où le Christ vivant apparait en…jardinier ! En paysan de Galilée !! Il a revêtu ses vêtements d’éternité. Ses vêtements de gloire : des bottes au pied, une salopette avec plein de poches pour mettre des outils de culture. C’est là qu’il apparaît dans toute sa gloire de Fils puisque nous dit-il un jour, son père était non pas le vigneron mais le « georgos », le paysan !
François Cassingena commente : « Paysans, ils le sont, de Père en Fils. Notre Dieu n’est pas très officiel, pas très rationnel, pas très conventionnel. C’est un Dieu qui pousse et qui fait pousser et que l’on fait pousser (car il faut bien être un peu paysan pour s’y connaitre en lui). Le Dieu qui pousse autour de nous, en nous, entre nous est naturellement le Dieu de tout ce que nous faisons pousser autour de nous, en nous et entre nous dans le sens de la lumière et de l’amitié et de la vie et du Royaume. Dieu paysan. Bon Dieu. Dieu notre Seigneur et notre roi. »
Note : Les textes des prédications présentées dans le cadre de la série ‘Prédication de la semaine’ sont susceptibles d’avoir été légèrement adaptés au présent support (site Internet) et à l’audience de ce dernier. Les adaptations restent mineures et n’affectent en rien le sens de la prédication originale.
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