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Eglise protestante de Genève
© Bruno van der Kraan/Unsplash

Pâques, la joie dans la gravité

La théologienne Élisabeth Parmentier nous parle du message fondamental de Pâques, aujourd’hui, dans un monde en crise.

Quel est le sens de Pâques, aujourd’hui ?

Notre moteur, ce qui nous domine parce que nous nous rendons compte de notre condition humaine, c’est la peur. Ce qui est absolument nouveau à Pâques, c’est la libération de la peur fondamentale qu’est la mort, mais aussi de toutes les craintes qui découlent de la peur pour soi : l’inquiétude, l’amertume, la rancune, la peur de manquer, de rater sa vie, etc. Pâques, au fond, pour les croyants, c’est la libération de ce qui nous appesantit, de ce qui nous rend esclaves. 

Quelqu’un de libéré rayonne vers les autres, leur fait partager sa vitalité, sa force, son espérance, son courage. Ainsi libéré de la peur, on peut alors s’engager pour ce qui construit l’être humain, avec sollicitude et bienveillance. Je ne parle pas des grandes causes, on peut commencer par notre entourage et partout où nous sommes. Chacun peut faire quelque chose, comme une petite contagion. Cela tient quelquefois à si peu de transformer un esprit de travail, de voisinage, de famille. Pour moi, c’est cela, Pâques. Ce sont des choses très fondamentales de l’être humain d’abord et non des choses surnaturelles, même s’il y a le grand mystère de la Résurrection. Le moment de Pâques ne doit pas être détaché de la réalité de la condition humaine. Ce n’est pas une fête surnaturelle.

Quels langages faut-il utiliser pour parler de Pâques ?

Le moment de Pâques reste un mystère, tout comme notre vie et pourquoi nous sommes là, d’ailleurs. C’est pourquoi on ne peut pas en parler dans des catégories comme la didactique, l’explicatif ou le raisonnable. Il n’est pas possible d’argumenter sur un mystère ! Des langages comme le narratif, l’art ou la musique me semblent plus adéquats. Il n’y a rien de plus inspirateur de Pâques que les Passions de Bach, qui nous mènent de la souffrance à l’espérance. À Pâques, on ressent une forme de joie, de jubilation intérieure, dans la gravité. Une confiance dans cette voie ouverte par Jésus de Nazareth, qui est un autre mot pour dire la foi. 

Le théologien Jürgen Moltmann parle de tableaux du Moyen Âge où l’on voit le ressuscité entraîner dans la danse les morts et les vivants. Cette image s’oppose aux danses macabres où tout le monde va vers le tombeau. La danse est une belle expression du sens de la joie dans la gravité. La tradition que les chanoines, l’évêque et le clergé dansaient dans l’église à Pâques existait jusqu’au XVIIe siècle. Les pères de l’église en parlaient déjà dans les premiers siècles. Cela a ensuite été interdit, la danse ayant cette ambiguïté de risquer de créer la débauche avec le frottement des corps… 

Comment aborder, de nos jours, la commémoration de la Résurrection de Jésus ? 

Ce message reste fondamental, une faille ouverte dans les limites humaines. Il y a une facette psychologique : même si on ne croit pas que la résurrection de Jésus s’est réellement produite, on peut vivre des relèvements… On peut, dans la vie humaine, éprouver des résurrections ou des pertes de gravité que l’on appelle aussi aujourd’hui des relèvements, des reprises ou des résiliences. Chacun en vit et en ressent la vérité. Donc la résurrection se rattache à quelque chose que nous pouvons vivre, mais, en même temps, dans l’affirmation croyante, se trouve ce plus au-delà de la logique, qui nous permet d’espérer. L’être humain est ainsi fait qu’il vit dans l’espérance, qu’il pressent qu’il y a autre chose à vivre. Pour ma part, je suis convaincue de la résurrection de Jésus de Nazareth. Pourquoi, sinon, y aurait-il tant de témoins, tellement touchés et qui sont allés jusqu’au martyre parce qu’ils étaient frappés par ce qu’ils avaient vécu ? 

Pour les croyants, c’est l’espérance qui nous invite à nous rappeler que Dieu conduit toute chose, finalement ?

Je dirais plutôt qu’il nous aide. J’en suis convaincue. Mais ce n’est pas nécessairement dans ce que notre égo voudrait et, peut-être, que nous ne le verrons qu’après. C’est très biblique ! Dans plusieurs textes, on ne reconnaît Dieu qu’après son passage… comme à Pâques. Le tombeau est vide : il n’y a rien de spectaculaire. Dans notre vie, il peut y avoir de nombreuses choses que l’on attribue au hasard ou à nos efforts, alors que si l’on est prêt à le discerner, on peut peut-être distinguer quelque chose du passage de la sollicitude de Dieu à travers des humains. Il faut être prêt à voir, à y prêter attention. 

Quelle est l’importance de redire ce message d’espoir ? Est-il encore une inépuisable source d’espérance alors que le monde va mal ? 

Oui, c’est effectivement encore une ressource d’espérance, à la fois pour pouvoir assumer les détresses du monde, pour ne pas se fermer les yeux et vraiment porter avec les humains qui nous entourent les misères qu’ils vivent avec courage. Et en même temps, c’est une ressource pour soi, pour trouver une joie profonde qui n’est pas permanente mais qu’il est possible de retrouver si l’on se recentre sur cette espérance. Elle alimente un courage d’être, comme disait le théologien Paul Tillich. 

L’Église doit dire la force de la vie et de la confiance qui vient de Pâques. Jésus ouvre un horizon qui est le don de soi jusqu’au bout, pour nous montrer comment être humain dans le sens d’humanité. On bascule dans une autre logique, qui n’est pas celle de la violence, mais du pardon. C’est cela qu’il faut annoncer dans le passage de la Passion ou de la croix à Pâques. C’est pour cela qu’il y a à la fois la gravité et la libération. Jésus nous aide à nous libérer de l’enfermement dans la vengeance ou dans la rancœur, pas seulement pour les grands événements du monde, mais aussi dans nos vies parce que personne n’échappe à ces moments où l’on est exaspéré par des situations que l’on ne peut pas résoudre ou par des personnes. S’obstiner, se venger et rendre les coups nous détruisent et nous déshumanisent. Pâques, c’est aussi le fait que Dieu nous aide en nous disant : tu as autre chose à vivre, même si c’est infiniment difficile.

Élisabeth Parmentier 
Professeure en théologie pratique et doyenne de la Faculté de théologie de l’Université de Genève


Propos recueillis par Anne Buloz